A la lueur des bougies, penché sur son établi, le Professeur observait le parcours du liquide dans ces délicats conduits de cristal qui lui avaient coûté les yeux de la tête. Sans relâche, depuis des mois, il avait passé ses nuits à extraire avec précaution les sucs de toutes les plantes qu'il avait croisé lors de ses périples dans l'Empire et même chez les elfes (bien qu'il lui répugnait d'admettre même y être allé). Tous ces végétaux, il les avait étudié, sélectionné, trié, et pour certains, rejeté avec résignation.
Et cette nuit, enfin, il touchait au but. Tous ces kilomètres parcourus loin des réconfortantes mines de sa communauté, tous ces ennemis combattus et tous ces alliés soignés à grands renforts de runes, tout cela prenait un sens ce soir.
Issus de la macération des herbes retenues, les fluides délicats s'étaient vus subtilement mélangés depuis le matin jusqu'à cette heure tardive de la nuit. Finement évaporées et refroidies pour en assurer l'homogénéité parfaite, les essences s'étaient enfin associées en cet extrait ambré qui emplissait paresseusement tout le dispositif complexe de distillation.
Et voilà que sous les yeux fatigués du Professeur, la première goutte d'or tomba dans le petit tube destiné à la recueillir, rejointe par une douzaine d'autres. Tenant l'éprouvette devant la flamme d'une bougie proche, il en apprécia les nuances lumineuses et la chaude luminosité, cette couleur de Bryn, l'or rouge.
Approchant de ses lèvres parcheminées, il fit couler le précieux liquide dans sa bouche. Aussitôt, une explosion de couleurs et de sons envahit brutalement son cerveau. Il se sentit remué en tous sens, pris à la fois d'une irrépressible envie de danser et de pleurer, de retourner immédiatement au combat et de se rouler en boule sous son établi. Il eu la sensation fugace de connaître tous les secrets du monde, puis quasi simultanément celle que lui ferait la masse d'un troll des montagnes en lui enfonçant la tête dans les épaules.
Les bougies s'étaient éteintes lorsqu'il revint à lui. En tâtonnant dans l'obscurité d'une main, et en se tenant la tête de l'autre de peur qu'elle ne se détache, le Professeur râlait :
"Pff, encore une boisson de fillette !"
Et saisissant son sac de voyage, il se dirigea vers la porte et de nouvelles aventures.